
Le 29 avril 2023, en la salle des ventes Richard à Villefranche sur Saône, s’est vendu un exemplaire du THEATRE DE GUIGNOL dans sa version originale de 1865 (lot n°181).
Ce livre de 349 pages présentait une reliure signée de Thibaron-Echaubard (plein maroquin vert bronze, fer doré au centre de chaque plat, dentelle intérieure dorée et toutes tranches dorées)

Ce qui rend cet ouvrage unique, voire même historique, ce sont ses 7 dernières pages manuscrites et anonymes qui ont été ajoutées à l’ouvrage lors de sa reliure. Un témoignage d’un homme d’environ 65 ans qui aurait connu Laurent Mourguet et fréquenté son théâtre vers 1817-1818.
Ce document nous apporte de précieux détails sur la personnalité de Laurent Mourguet et sur celle de son fils, Etienne Mourguet, mais également sur les origines du nom de Guignol et sur l’évolution de cette marionnette durant les premières années.
Ce manuscrit est cependant à prendre avec un peu de recul car d’autres versions de l’histoire de Guignol peuvent présenter certaines différences. Néanmoins, ce récit reste en beaucoup de points cohérent, et il peut s’avérer parfois déstabilisant.
Lecture du document
“En ma qualité de Lyonnais qui ai connu Mourguet et qui ai souvent entendu ses bonnes farces, je vais indiquer ici l’origine du théâtre de Guignol.
J’étais encore enfant lorsque vers mille huit cent dix-sept ou huit, ma grand-mère me menait dans un enclos aux Brotteaux qui renfermait plusieurs amusements. On payait deux sous l’entrée, pour ce prix grands et petits enfants jouissaient de toutes sortes de délices. Entre autres divertissements il y avait un petit théâtre monté sur quatre perches, entourées de toiles peintes et reliées par une traverse au sommet. Sur ce fronton primitif était peinte une lyre non moins naïve, croisée de deux flageolets.
Ce théâtre appartenait au Sieur Mourguet qui le nommait son castelet. Caché derrière les toiles, il faisait mouvoir au-dessus de sa tête des marionnettes à poignet, dont le principal personnage était le polichinelle à deux bosses. A cet acteur classique, il avait adjoint une espèce de compère, dont le rôle était semblable à celui que joue à présent sous le nom de Gniafron, l’ami de Guignol. Ce dernier personnage ne tarda pas à faire son apparition en scène, et à prendre une part active aux calembours et aux coups de bâton.
Le père Mourguet avait l’habitude de donner à ses marionnettes des noms en rapport avec leur physionomie ou leur état.
Le nom de Gniaffron vient de la profession de ce personnage qui est celle de savetier et qu’on appelle à Lyon gniaffre ou gniaffron = comme preuve une des scènes habituelles de Mourguet représentait Gniaffron en train de ressemeler un vieux soulier. Tout à coup arrivaient de la campagne plusieurs parents et amis que Gniaffron fêtait de son mieux, dans un bel élan de cœur et pour traiter son monde avec la bienveillance la plus hospitalière, Gniaffron arrachait son tablier de savetier (sa besanne) la coupait en cent morceaux et appelait sa femme. Tiens, lui disait-il, fais moi cuire ça à la poêle avec deux sous de suif de Thiouville, ça fera de la double pour régaler ces étrangers qui sont pas d’ici.
En témoignage de reconnaissance, les invités chantaient un couplet où il était dit que de tous les gniaffrons (savetiers) de la rue Bourg Chavin, le plus aimable était sans contredit leur cousin Gniaffron.
Pour remplir le rôle de Guignol, père Mourguet choisit une poupée aux traits grotesques et dont les yeux regardaient de travers, l’un plus grand et plus ouvert que l’autre. Cette figure guignait d’un œil, il l’appela Guigne-œil. Par corruption on en fit Guignol.
L’enclos des Brotteaux était fermé pendant les hivers, le père Mourguet portait sa verve comique eu théâtre nommé la crèche, dans la rue Noire. Ce fut lui qui créa, qui popularisa le rôle si drolatique du père Coquard. Il n’était qu’employé à ce théâtre où il jouait avec des marionnettes à tringle. Les marionnettes à poignet, de même que Polichinelle et tant d’autres choses, commençaient à passer de mode. Le théâtre fut transporté rue Ferrandière ; Mourguet l’y suivit et y fut employé encore pendant quelques années. Il jouait encore durant la belle saison dans les établissements qui se succédèrent aux Brotteaux, tels que les montagnes russes ou françaises, mais il n’y réussit pas.
Plus tard la crèche du théâtre Joly fut créée rue Sainte Marie des terreaux par le Sieur Joly, qui était peintre et qui avait joué rue Ferrandière avec Mourguet. Cet artiste avait épousé la petite fille du fondateur des crèches, rue Noire et rue Ferrandière, laquelle se nommait Brunette. Mademoiselle Joly avait une fort jolie voix ; on écrivit pour elle des petites pièces qu’elle récitait for bien, et des couplets qu’elle chantait à ravir. Son succès fut si grand qu’il entraina la chute des crèches primitives.
Cette catastrophe théâtrale réduisit le pauvre père Mourguet à la nécessité d’exploiter son petit castelet, l’hiver et l’été, hors de Lyon où, d’ailleurs son genre n’était gouté par le public ingrat. Il transporta ses tréteaux dans les vogues des environs de Lyon, et la femme Mourguet faisait la quête auprès des spectateurs en plein air. Polichinelle était encore le principal personnage, mais Guignol prétendait déjà à ses futurs triomphes en supplantant son ami Gniaffron dans les seconds rôles. Le père Mourguet obtint ainsi dans les banlieues de Lyon une renommée qui fut agrandie par son fils. Un peu plus tard, après l’abdication du père accablé par la vieillesse, le jeune Mourguet quitta définitivement la navette pour la marionnettes à poignets et se lança dans la carrière dramatique.
Dans les commencements, il n’avait pas la verve, la rondeur du jeu de son père, mais il le surpassa en finesses, en allusions, en calembours. Le père improvisait tout ; le fils étudiait ; il se forma surtout en s’inspirant des idées recueillies dans les petits journaux de l’époque que la liberté de la Presse avait fait surgir. Ce fut lui qui comprit le premier, par une intuition du génie saltimbanque, le véritable esprit de Guignol et qui donna à ce rôle l’importance qu’il a eu depuis. Le castelet s’était établi sous des abris plus commodes que la calotte du ciel et son succès à Vienne, à Rive de Gier, à Givors, à Saint Etienne et surtout à Saint Chamond fut grand qu’il décida les deux Mourguet à revenir dans leur ingrate patrie.
Ils s’établirent cette fois dans une cave sur la porte de laquelle était inscrit les mots : Café du Caveau ; plus tard les successeurs de Mourguet substituèrent à cette enseigne celle de café Guignol, que l’on voit encore près de la place de célestins. »
Ce qu’il faut retenir…
Page 1 :
• L’auteur ne notre manuscrit dit avoir assisté aux représentations de Laurent Mourguet en 1817 ou 1818 lorsqu’il était encore enfant. Dans l’hypothèse ou il avait environ 10ans en 1818 et que ce manuscrit ait été écrit lors de la parution de l’ouvrage en 1865, notre auteur a donc environ 63 ans lorsqu’il nous adresse ces quelques lignes.
• Il déclare qu’en 1817, 1818, Laurent Mourguet donnait encore des spectacles dans un enclos aux Brotteaux. Il s’agit vraisemblablement du Jardin Chinois qui se trouvait derrière la place des Brotteaux (entre l’actuelle place du Maréchal Lyautey et la station de métro Foch)

• Il décrit assez précisément le castelet de Laurent Mourguet : « un petit théâtre monté sur quatre perches, entourées de toiles peintes et reliées par une traverse au somme. Sur ce fronton primitif était peinte une lyre non moins naïve, croisée de deux flageolets. »

• Selon l’auteur du manuscrit, le personnage principal des spectacles donnés par Laurent Mourguet est encore « Polichinelle à deux bosses ». Polichinelle est alors accompagné de Gnafron.
Page 2 :
• À noter le nom de Gnafron, alors orthographié « Gniaffron » qui vient du métier de « Gniaffre » ou « Gniaffron » qui veut dire savetier.
Page 3 :
• L’auteur fait alors référence à l’arrivée du personnage de Guignol sous la forme d’une « poupée aux traits grotesques et dont les yeux regardaient de travers, l ’un plus grand et plus ouvert que l’autre ». Cette description correspond plutôt bien à la marionnette de Guignol exposée au musée de Gadagne (même si la mémore d’enfant de l’auteur semble légèrement exagérée).

Pages 4 & 5 :
• Ces pages nous montrent que Laurent Mourguet n’arrivait pas à vivre uniquement de son activité théâtrale, et devait également travailler dans un autre théâtre nommé « la crèche » où il inventa le personnage « di drolatique du Père Coquard » (marionnette à tringles également exposée au musée de Gadagne.
• A la fermeture de la crèche, Laurent Mourguet doit donc reprendre la route autour de Lyon. Il transporte son castelet de vogues en vogues (fêtes foraines) et est visiblement accompagné de son épouse, Jeanne Esterelle, qui « faisait la quête auprès des spectateurs ».
• L’auteur précise que le principal personnage des pièces de Mourguet est encore Polichinelle, mais que Guignol à déjà pris le 2nd rôle à son ami Gnafron.

Page 6 :
• L’auteur introduit alors dans son histoire le fils de Laurent Mourguet, Etienne Mourguet. Il souligne le talent d’improvisateur de Laurent Mourguet, qu’il oppose à la plus grande « finesse » et aux meilleurs jeux de mots de son fils Etienne. Selon l’auteur, c’est le fils qui va donner à Guignol le premier rôle dans les spectacles et qui surtout, qui va donner à la marionnette son esprit qu’on lui connait aujourd’hui.
• L’auteur précise qu’a une certain moment Laurent Mourguet ne fait plus partie des spectacles car « accablé de vieillesse » (page 5) et l’auteur fait ensuite référence aux « deux Mourguet », Etienne et sa sœur Rosalie (du son vrai prénom, Rose-Pierrette) qui a rejoint l’aventure.
Page 7 :
• L’auteur termine son récit en faisant allusion à la création du fameux « café du caveau », une cave dans laquelle les Mourguet vont perpétuer la tradition du Théâtre de Guignol lyonnais. « Café du caveau » qui s’appellera ensuite « café Guignol ».

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